Par Sophie Lesiège, Montréal
Nous sommes le 4 juillet 2006, date prévue de mon accouchement. Comme ma fille Maxinne est arrivée avec treize jours de retard, je me doute bien que mon fils Romain
me laissera dans l'attente encore quelques jours mais nous sommes prêts pour son arrivée. Maxinne, presque cinq ans, demande sans arrêt : « Titi Romain, quand vas-tu
sortir? »
Vendredi le 14 juillet, Romain arrive. J'ai enfin mon fils sur moi et ma fille à mes côtés. C'est le bonheur. En tout, du début des contractions jusqu'à sa sortie, il se sera écoulé
trois heures. Wow! Intense mais rapide.
Ce moment d'euphorie est de courte durée car Isabelle, notre sage-femme, constate que notre fils a le teint bleuté. Elle lui donne alors de l'oxygène mais cela ne fait aucun
changement. C'est lorsqu'elle prend le taux de saturation (taux d'oxygène dans le sang) de Romain, qu'elle se rend compte que quelque chose cloche. En moins de cinq
minutes, l'équipe de transfert de l'Hôpital de Montréal pour Enfants est contactée. À leur arrivée, ils ont de la difficulté à stabiliser l'état de notre Romain pour partir vers l'hôpital.
Je n'ai eu mon bébé que deux ou trois minutes dans mes bras et voilà qu'il devra partir pour l'hôpital… Je n'arrive pas à croire à tout ce qui se passe. C'est comme si je vivais
un cauchemar. Thomas, mon mari, part pour l'hôpital en voiture, mon fils en ambulance et moi en taxi avec Isabelle, ma sage-femme.
Quand j'arrive à l'hôpital, le ciel me tombe sur la tête. Mon fils, à peine âgé de cinq heures, est branché de partout et on nous annonce qu'il a une triple malformation
cardiaque et qu'il devra subir une, voire deux chirurgies. Tout va si vite. L'accouchement idéal suivi de cette horrible nouvelle. Comment la vie peut-elle faire ça à un petit être
comme lui? J'ai fabriqué un bébé avec le cœur à l'envers. Je ne me sens plus fatiguée, ni endolorie. J'ai mal à mon cœur de mère. J'ai mal de le voir souffrir et j'ai peur que la
date de sa naissance ne soit également la date de son décès.
Les choses s'enchaînent à une vitesse vertigineuse. Les cardiologues défilent au chevet de notre fils et tentent par tous les moyens de lui sauver la vie. On nous annonce que
les tentatives sont inefficaces et qu'il devra subir une chirurgie à coeur ouvert le soir même vers 19h30, soit environ à 14 heures de vie. Je regarde mon fils partir au bloc
opératoire en lui demandant de revenir de là pour que nous puissions reprendre le temps et les tétées perdus. Je voudrais le serrer contre moi mais je ne peux même pas
faire ce petit geste habituellement anodin.
C'est la chirurgienne qui l'a opérée qui nous annonce, quelques heures plus tard, que tout a bien été, que Romain est au département des soins intensifs et que nous
pourrons le voir sous peu. C'est tout un choc de le voir inerte et avec autant de fils sur lui. Mais il est en vie. Il est avec nous. Il revient de loin mon petit homme. Je suis si fière
de lui. Mais j'ai si peur!
Depuis son deuxième jour de vie, j'exprime mon lait à toutes les trois heures le jour et je prends une pause de quelques heures durant la nuit. L'Hôpital de Montréal pour Enfants
met à notre disposition deux tire-lait électriques, des bouteilles et des bouchons stériles. La tubulure est non seulement fournie mais elle est stérilisée chaque jour gratuitement.
Je suis heureuse car pour moi l'allaitement est si important que je ne voudrais pas que cette relation soit compromise suite à cette période déjà assez difficile. Il y a même
un congélateur pour conserver mon lait. Chaque millilitre recueilli représente pour moi une victoire. Je le fais pour mon fils; je sais que je vais lui offrir ce qu'il y a de mieux.
À quatre jours de vie, mon fils reçoit mon lait par un tube de gavage pour la première fois… Et le jour suivant, je peux finalement le mettre au sein! Je me sens bien avec lui
dans mes bras. Il est beau, il sent bon et sa peau est si douce. Même si nous pouvions depuis le début le toucher, le prendre dans mes bras est FANTASTIQUE! Je sais qu'il
n'ouvre pas assez grand sa bouche lors des tétées et que j'aurai probablement mal aux mamelons mais dans les circonstances, cette douleur est bien petite à côté de la joie de
contempler mon cher petit au sein.
C'est le 23 juillet, soit neuf jours après sa naissance, que Romain peut enfin venir pour la première fois à la maison. C'est la fête! Je suis tout de même inquiète mais en même
temps j'ai si hâte que ma maison sente le bébé. J'ai tellement envie de dormir avec lui. Je veux me réveiller la nuit pour lui offrir le sein. Et je vais pouvoir le faire dès ce soir! Je
vis beaucoup d'émotions. Ce n'est pas facile. J'espère que tout ira bien. Si seulement on pouvait louer un médecin résident pour qu'il veille au grain…
Alors que Romain était hospitalisé, j'ai trouvé important de déconstruire certains « mythes » qui circulaient au sujet de l'alimentation au sein. Par exemple, qu'il
est faux de dire que la tétée au sein est plus fatigante pour le bébé que l'alimentation au biberon et aussi qu'il n'est pas nécessaire de connaître avec précision la quantité de
millilitres que boit l'enfant. Nous avions aussi demandé que le tube de la perfusion soit plus long pour faciliter les manipulation de Romain. Le personnel a bien accueilli nos
différentes demandes et a tout fait pour que l'allaitement soit facilité le plus possible.
Aujourd'hui nous allons bien. La vie reprend son cours. Romain grandit et évolue comme tous les bébés. Il a subi sa deuxième chirurgie à coeur ouvert alors qu'il avait
sept mois. Son teint est parfaitement rosé. Il est bien un des rares garçons à qui le rose va aussi bien!
Romain est maintenant en première année. Il est un jeune homme actif, sportif et très empathique. Il devra subir dans les prochaines années une autre chirurgie. Il traversera
cette épreuve comme un super-héros comme les autres fois. Nous sommes très fiers de notre grand garçon.
Sophie Lesiège
Monitrice de la Ligue La Leche
Accompagnante à la naissance
Mère de 3 enfants
Maxinne, fille, née en 2001
Romain, garçon, né en 2006
Léandre, garçon, né en 2010