Accueil >> Allaitement >> Les premières semaines de l'allaitement >> Les poussées de croissance

Les poussées de croissance

Personnellement, j'ai entendu tant de choses concernant les poussées de croissance que je ne sais plus où donner de la tête. Certains y voient un rythme très fixe – trois jours, trois semaines, trois mois -, d'autres y voient quelque chose de réglé comme un métronome, d'autres préfèrent parler en termes de « pics de développement ». Une chose est sûre, c'est que c'est un moment redouté par les mères. Ces fameuses poussées de croissance ont le dos large, et sont une source quasi anxiogène. Comme si la poussée de croissance était un gage de qualité de mère, ou un examen ardu par lequel doit passer une mère pour tester sa compétence et sa détermination. Et si elle n'arrivait pas à passer à travers?

Tout d'abord, lorsqu'on parle de poussées de croissance, il ne faut surtout pas oublier ses racines. L'être humain, le corps humain, la machine humaine est un organisme en croissance extrêmement rapide; faites simplement la réflexion de tous les acquis moteurs, cognitifs, sociaux de votre bébé entre zéro et un an. L'énumération est magistrale. Le bébé humain se développe à une vitesse phénoménale en très peu de temps; rien à voir avec le temps que ça prend à un adulte de vraiment bien apprivoiser son nouveau téléphone intelligent.

Ensuite, il faut considérer la chimie du lait maternel. Dans le lait maternel, on compte des facteurs de croissance épidermique et humaine. À toutes les tétées, bébé reçoit des facteurs de croissance qui contribuent à son développement. Pourtant, les bébés au biberon n'ont pas ces facteurs de croissance dans leur préparation commerciale, mais ils vivent aussi ces « poussées de croissance ». Quoi penser de ce constat?

Donc, les questions que l'ont peut se poser sont les suivantes : le bébé qui a subitement une demande accrue en tétées et en attention, est-ce à dire que véritablement, ses besoins nutritionnels sont en hausse, ou est-ce qu'on peut parler d'autre chose? Qu'en est-il vraiment de la quantité de lait ingurgitée par le bébé dans ces périodes où il est très crampon? Et si notre bébé semble abonné aux poussées de croissance, ou alors il ne semble pas du tout en faire, doit-on s'inquiéter de son développement?

Une rapide recherche sur internet me confirme qu'on patauge dans le flou du côté des poussées de croissance. On n'a qu'à taper « poussées de croissance » et une multitude de sites et de forums nous informent à propos de cette période intense. Les données, quant à elles, sont variables.

Les âges approximatifs des poussées de croissance varient d'un pays à l'autre, et même au sein de son propre pays. Un de ces sites rappelle néanmoins que ces âges peuvent varier en fonction des bébés. Tous les sites fiables s'entendent tout de même sur ceci : nul besoin de complémenter le bébé, il ira satisfaire ses besoins au sein, il n'est pas en déficit alimentaire inquiétant. Sur le site de Dr. Jack Newman, pédiatre canadien, spécialiste en allaitement et consultant en lactation certifié, on va même à dire que le bébé allie besoins nutritionnels supplémentaires et périodes de développement neurologique importants. Ainsi, on peut s'attendre à ce que le bébé soit scotché à sa mère à cause de la demande accrue en lait maternel et en réconfort pour favoriser l'adaptation de son développement neurologique.

Encore sur le site de Jack Newman, aucune mention à propos des âges auxquels on peut s'attendre à ce que le bébé « pousse ». Ce doit être parce que dans l'optique du Dr. Newman, chaque bébé est unique et ces repères ne doivent être considérés que comme des repères, et non des indicateurs de bonne santé.

Selon Ingrid Bayot, sage-femme belge, les poussées de croissance seraient plus adéquatement nommées « pics de développement », faisant référence aux périodes de développement neurologique important. Le bébé encoderait des compétences très exigeantes au niveau moteur, cognitif ou social, et aurait une inclinaison à devenir plus crampon à ces moments- là. Malgré les tétées plus fréquentes, le bébé n'engloutirait pas une quantité de lait particulièrement supérieure. Le corps de la maman s'adapterait aux besoins du bébé mais sans
faire une « commande » de lait plus élevée.

Celle-ci fait aussi la réflexion suivante : dans notre société, notre perception du bébé est celle d'un estomac. Aussitôt plein, le bébé s'endort; sitôt vide, il s'éveille. Il faut donc le nourrir car il s'est éveillé de faim.S'il s'endort rapidement au sein, c'est qu'il n'avait qu'une petite faim. Or, il n'en est rien; le bébé humain est un petit être immature au niveau neurologique, et c'est un cerveau en développement constant. En sortant de son environnement utérin, il doit s'adapter à un autre environnement et son repère, c'est sa mère. Lors de moments plus intenses – visites, changements dans son environnement, retour au travail, pics de développement neurologique – il est à parier qu'il cherchera plus activement sa mère, qui est sa source de réconfort. En
outre, si les tétées sont plus fréquentes, c'est qu'il recherche peut-être plus de sécurité car son environnement et/ou son être est en évolution. Le changement est une source d'anxiété pour beaucoup de gens, et les bébés y sont particulièrement sensibles. Il est donc à dire que les poussées de croissance sont un moment où bébé se sent plus vulnérable, et non que l'alimentation du bébé est insuffisante pour ses besoins.

Pensez à un changement de vos habitudes de travail; votre département change désormais la politique quant à un ficher X ou alors on change les ordinateurs du bureau pour de nouveaux modèles, plus performants. Face à cette situation, il est possible que vous régressiez, que vous demandiez de l'aide de votre technicien plus souvent, le temps de l'adaptation. Ensuite, vous serez plus performants encore car vous aurez deux outils de travail dans votre coffre à outils.

Pour ma part, je préfère penser à ces « périodes crampon » comme un honneur à notre cerveau en ébullition. La définition du bébé comme estomac est à mon avis plus réductrice et pas toujours conséquente à la réalité que vivent les bébés. Ça trompe aussi notre instinct humain de s'occuper des autres quand ils sont dans le besoin, qu'ils soient bébé ou adulte ou aîné. Lorsque nos amis vivent des moments difficiles, on n'a pas le réflexe de leur sortir une barre tendre et souhaiter qu'ils s'en sortent. On passe plus de temps avec eux, à l'affût de leurs demandes et de ce qu'ils vivent. Pour le bébé allaité, le sein est le réconfort absolu – un endroit où le bébé retrouve ses repères utérins, l'odeur de sa mère, le battement du cœur, l'attention, la proximité. Au fond, pour paraphraser Jack Newman, « l'allaitement, ce n'est pas que du lait ». C'est une relation complexe qui se développe autour d'un repas.

Marie-Ève Sturrock

Coordonnatrice et marraine d'allaitement à Lactéa et accompagnante à la naissance.

Référence :

Formation co-naître d'Ingrid Bayot