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Témoignage : notre lien lacté

Depuis quelque temps je mûris ce billet, et avec le déferlement qui coule sur la toile ces derniers jours, je me dis que c’est le moment propice pour que moi aussi, je marque notre histoire par mon récit d’allaitement.

18 mois, un allaitement dit « prolongé », étiqueté par des études savantes et des soi-disant experts. Je traverse un cap disent-ils, celui où l’allaitement est encore plus controversé, montré du doigt et surtout méconnu par le commun des mortels. J’allaite un bambin, une enfant capable de me demander le sein. Une petite fille qui marche et mange seule, une personne qui court vers son indépendance. Quant à moi, je suis une sorte d’extrémiste convertie pour les uns, une dévouée-mère-courage pour les autres, une excessive, une égoïste perdue, une dépendante affective. Pourtant que ce soit à sa naissance, hier ou encore demain je donne tout simplement mon lait à mon bébé, puisque mon corps est conçu pour le faire jusqu’au jour où elle aura décidé elle-même d’arrêter. Je ne sais pas jusqu’où nous mènera cette aventure, ça a peu d’importance, c’est elle qui donne le rythme, et je le respecte avec bienveillance. Il n’est aucunement question d’imposer un comportement, on ne rêve pas de se rendre à un chiffre précis, une période fatidique, ce n’est pas une compétition ou un défi. L’allaitement ça se vit au jour le jour, je ne pense pas, je nourris !

Bien sûr que cela fait partie de mon quotidien, les gestes, les sensations, la routine installée, mais les tétées évoluent avec l’enfant et ne sont plus les mêmes qu’avec un nouveau né. Allaiter un bambin c’est une toute autre expérience: c’est plus décidé, plus marqué, plus ponctué. Elle tète énergiquement avec ses mains baladeuses en fronçant son petit nez chaud, recharge ses batteries de tendresse, de nutriments et d’anticorps en tous genres puis retourne à ses occupations.
Les mythes insistants qui tournent autour de l’allaitement sont plutôt drôles au fond, et criant de désinformation. Comment penser, en nous côtoyant une demie minute, que ma fille serait craintive fourrée dans mes jupons, dépendante et incapable d’apprivoiser le monde extérieur? Elle est définitivement l’inverse. Pas assez pot-de-colle à mon goût, bien trop sociable et libre pour la maman tendre et préocupée que je suis. L’allaitement n’est pas un frein à l’autonomie, c’est au contraire un geste sécurisant qui permet de se détacher en toute confiance. Ma fille se fiche d’être un bébé, elle veut grandir à tout prix et sans détour.

Ce lien du lait à été un fil conducteur chaque instant. Après cette césarienne douloureuse et amère, l’allaitement a été le pansement de mes blessures, réparateur et apaisant. Cela m’a permis de l’investir vraiment après notre séparation de la naissance. J’ai aussi grâce à mon sein, senti que je devenais mère, tous les jours un peu plus fort. Mon allaitement n’était pas une option parmi d’autres mais un passage nécessaire pour compenser ce que je n’avais pas réussi, faire naitre mon bébé par moi-même. J’étais maladroite au départ et ma Nounou plutôt dissipée mais avec notre détermination et notre instinct nous sommes devenues de véritables virtuoses. L’allaitement a jalonné notre parcours, les jours de maladie ou de poussées dentaire, lors des gros bobos, cheville foulée et points de suture. Les tétées de retrouvaille, elles, étaient les instants tant attendus lorsque nous étions séparées les longues journée d’hiver. Les tétées de bonne nuit, qui nous permettent de vivre hors du temps en se murmurant des mots d’amour, et la chance qu’on a d’être ensemble.

 

Je n’avais pas pensé allaiter si longtemps, ce n’était pas dans mon plan de naissance si j’ose dire, je me rappelle encore avoir dit peu de temps avant d’accoucher: « j’essayerai si ça ne marche pas tant pis, avec cette grossesse infernale pas question que je m’entête, j’en ai assez bavé ». Mais ça c’était avant, avant de la mettre au monde, de la rencontrer, avant d’être frappée par l’ocytocine et les contractions. Avant de ressentir cet amour me conquérir aussi intensément qu’une montée de lait. Je suis devenue de plus en plus animale, instinctive et sensible à son bien être.

Je suis très à l’aise avec mon allaitement en général mais les interrogations redondantes des gens sont troublantes et m’interpellent, par leur insistance et leur non sens. J’avais peur de ne pas être capable d’assumer cette pratique dite hors norme, mais avec le temps, l’assurance mais surtout la certitude que je fais ce qui est le mieux pour nous et notre histoire, je ne me sens pas inquiétée par les qu’en-dira-t-on.
Souvent la question persistante de l’âge dérange et le monde s’inquiète qu’on donne le sein à des « trop grands enfants », terme bien subjectif au passage. Le caractère sexuel est souvent mis en avant. Mais une conversation après l’autre j’essaye de sensibiliser à ce qui met si mal à l’aise. Et, il en ressort toujours les même conclusions, le sein est sexuel, et nos sociétés modernes en abusent.

Je crois sincèrement qu’en démystifiant ce sein, le frigo de ma fille comme j’aime le dire, les masses modifieront leurs comportements inappropriés. C’est pourtant une tendance très nouvelle que de s’insurger par rapport à l’allaitement.
Je me sens pleine et valable lorsque j’allaite, je me sens compétente et adéquate. Je suis vivante tout simplement. Je l’observe et je constate à quel point c’est un plaisir pour elle, elle se délecte, s’apaise, se réconforte. Je tente, du mieux que je peux, d’être à l’écoute des besoins de ma fille, avec ou sans sein. On omet trop souvent de mentionner que l’allaitement est un projet qui se défini et s’échafaude sans préméditation, c’est un échange unique et particulier pour chaque enfant. Les tétées s’espacent et diminuent avec le temps, elles sont éphémères et un jour prochain ma fille se détournera rassasiée de ce sein plein d’amour. Je ne sais pas quand, mais au fond, si je le savais, seriez-vous rassurés?
 
Ne vous inquiétez pas pour nous, ne vous posez pas en censeur, votre ton moralisateur est pénible et déplacé . Votre manque de tolérance révèle une fermeture d’esprit qui m’éloigne encore un peu plus de vos cheminements. Je vous le répète l’allaitement est normal c’est l’hyper sexualisation de nos seins qui est une déviance. Pensez par vous-même et ne soyez pas esclaves de ce que les médias projettent et vous imposent. Je suis une mère dans tous les sens du terme et l’allaitement en est part intégrante.

Chloé Boehme,
B. Ps., Conseillère périnatale